Derniers Vers
Jeune Ménage

La chambre est ouverte au ciel bleu-turquin ;
Pas de place : des coffrets et des huches !
Dehors le mur est plein d'aristoloches
Où vibrent les gencives des lutins.

Que ce sont bien intrigues de génies
Cette dépense et ces désordres vains !
C'est la fée africaine qui fournit
La mûre, et les résilles dans les coins.

Plusieurs entrent, marraines mécontentes,
En pans de lumière dans les buffets,
Puis y restent ! Le ménage s'absente
Peu sérieusement, et rien ne se fait.

Le marié a le vent qui le floue
Pendant son absence, ici, tout le temps.
Même des fantômes esprits des eaux, errants malfaisants *
Entrent vaguer aux sphères de l'alcôve.

La nuit, l'amie oh ! la lune de miel
Cueillera leur sourire et remplira
De mille bandeaux de cuivre le ciel.
Puis ils auront affaire au malin rat.

- S'il n'arrive pas un feu follet blême,
Comme un coup de fusil, après des vêpres.
- O spectres saints et blancs de Bethléem,
Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre !

A. Rimbaud
27 juin 1872

* Même des esprits des eaux, malfaisants (note de Rimbaud)

- Texte du fac-similé Messein, successeur de Vannier. Rimbaud donna ce poème à Jean-Louis Forain, qui le lui retourna à sa demande, en écrivant une note au dos : "Réponds-moi au plus vite au sujet de cette lettre et dis-moi si tu t'amuses là-bas. Moi je compte avoir mon atelier à la fin de la semaine prochaine. Adieu, écris vite. Ton ami J.L. Forain."
- Première publication dans "Arthur Rimbaud. Poésies complètes, Vanier, 1895.

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