Poesies
Comédie en trois baisers

Elle était fort déshabillée,
- Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains :
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins...

- Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner comme un sourire
Sur son beau sein, - mouche au rosier...

- Je baisai ses fines chevilles...
- Elle eut un long rire très mal
Qui s'égrenait en claires trilles,
- Une risure de cristal...

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent ... "Veux-tu finir !"
- La première audace permise,
Le rire feignait de punir !...

- Pauvrets palpitant sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
- Elle jeta sa tête mièvre
En arrière ... "Ô !... C'est encor mieux !..."

- "Monsieur, ... j'ai deux mots à te dire..."
- Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, — qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien...

- Elle était fort déshabillée
Ce soir ... - les arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée,
Malinement, tout près, tout près.

Arthur Rimbaud

- Version du poème confié à Georges Izambard.
- Autres versions : "Trois baisers", publié pour la première fois dans le journal satirique hebdomadaire "La Charge" du 13 août 1870, et "Première soirée", version du cahier confié à Paul Demeny.

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