Jadis l'Acheloüs aux eaux gonflées sortit de son vaste lit,
tumultueux, et fit irruption dans les vallées en pente, roulant
dans ses ondes les troupeaux et l'honneur d'une moisson jaunissante.
Les maisons des hommes ont péri, les champs s'étendent
au loin déserts. La Nymphe a quitté sa vallée,
les chœurs des Faunes se sont arrêtés : tous contemplaient
le fleuve en furie. Hercule, entendant leurs plaintes,
fut pris de compassion : il tente de maîtriser la fureur
du fleuve, jette dans les flots grossis son corps
gigantesque, chasse de ses bras vigoureux les eaux qui écument
et les fait rentrer, domptées, dans leur lit.
Du fleuve subjugué l'onde en courroux murmure.
Aussitôt le dieu du fleuve revêt la forme d'un serpent :
il siffle, grince et replie son dos bleuâtre,
et bat les rives tremblantes de sa queue furieuse.
Hercule se jette alors sur lui ; de ses bras robustes,
il lui entoure le cou, en le serrant ; et, malgré sa résistance,
il le brise ; puis sur son dos épuisé faisant tournoyer un tronc d'arbre,
il l'en frappe, et l'étend moribond sur le sable noir.
Et il se dresse, farouche : "Tu oses défier les bras
d'Hercule, imprudent ! frémit-il. Mes bras se sont faits à ces jeux,
alors qu'enfant encore j'occupais mon premier berceau ;
ils ont vaincu, ne le sais-tu pas ? les deux dragons !... »
La honte stimule le dieu du fleuve, et l'honneur
de son nom renversé, en son cœur opprimé par la douleur,
regimbe ; ses yeux farouches brûlent d'un feu ardent.
Son front armé de cornes se dresse terrible et frappe les vents.
Il mugit, et l'air frémit de ses affreux mugissements.
Mais le fils d'Alcmène se rit de ce combat furieux...
Il vole, le saisit et l'ébranle, et renverse à terre
son corps convulsé : il presse du genou son cou qui craque ;
et, serrant d'une étreinte vigoureuse sa gorge haletante,
il la brise et la comprime de toutes ses forces, jusqu'à ce qu'il râle.
Alors sur le monstre expiré Hercule, superbe,
arrache de son front sanglant une corne, insigne de sa victoire.
Alors les Faunes et les chœurs de Dryades et les Nymphes sœurs,
dont le vainqueur avait vengé les richesses et les retraites
paternelles, s'approchent du héros couché à l'ombre d'un chêne
et repassant dans son esprit joyeux ses anciens triomphes.
Leur troupe allègre l'entoure : ils coiffent son front
d'une couronne de fleurs et l'ornent de guirlandes de verdure.
Tous alors saisissent d'une seule main la corne
qui gisait à terre près de lui, et remplissent ce trophée
sanglant de fruits plantureux et de fleurs odorantes.
Rimbaud Jean-Nicolas-Arthur,
Externe au collège de Charleville.
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